Le Parlement a adopté la réforme AVS 21 dont l’harmonisation de l’âge de référence entre hommes et femmes à 65 ans.
Cette adoption a déclenché un grand débat politique et civique. Est-ce un pas vers plus d’égalité entre femmes et hommes ou est-ce encore une mesure prise sur le dos des femmes ?
Nous avons analysé les chiffres et disons que cette mesure pénalise les femmes un an de plus dans leur vie active.
Strictement parlant sur le plan de l’égalité entre femmes et hommes, les deux sexes devraient prendre leur retraite au même âge. Sauf que les circonstances ne permettent pas aux femmes de toucher la même rente que les hommes. Ceci pour plusieurs raisons :
1. Écart salarial : tout au long de leur vie, les femmes gagnent en moyenne moins que les hommes. En 2018, la part non expliquée de l’écart salarial moyen s’élève à 8%. Ce chiffre a peu évolué ces dernières années. En outre, l’écart salarial global inexpliqué augmente avec l’âge de 3,3% à 30 ans à 10% à ≥ 50 ans. Des grands écarts se constatent également pour les femmes mariées, avec un haut niveau de formation et des postes à responsabilité.
2. Travail rémunéré et non rémunéré : 53.6% des femmes travaillent à temps partiel ce qui signifie un revenu moindre et ainsi la possibilité financière de cotiser pour la retraite. Ce choix est principalement fait pour s’occuper du ménage et des enfants, un travail qui n’est pas rémunéré. En plus, cette situation les éloignait de la vie professionnelle.
Ces facteurs mènent à des prestations de prévoyance bien plus faibles que celles des hommes. En moyenne, les rentes (tous piliers confondus) des femmes sont de 37 % inférieures à celles des hommes, ce qui correspond à près de 20 000 francs par année.
Contexte
Lors de l’introduction de l’assurance vieillesse et survivant (AVS) en 1948, l’âge de la retraite est fixé à 65 ans tant pour les femmes que pour les hommes. C’est plus tard que ces derniers, les femmes n’ayant pas encore le droit de vote, ont décidé de baisser l’âge de la retraite des femmes à 63 et 62 ans, entrées en vigueur respectivement en 1957 et 1964. La raison ? Le message du Conseil fédéral d’alors n’offre que peu d’information à ce sujet, mais les arguments avancés laissent songeurs : « d’un point de vue physiologique, malgré leur espérance de vie plus élevée, les femmes sont souvent désavantagées par rapport aux hommes ». En plus, « les mauvaises langues » prétendent que les hommes, en général plus âgés que leurs épouses, ne voulaient pas se retrouver seuls à la retraite.
En 1997, la 10e révision de l’AVS, aussi qualifiée de « révision des femmes » car elle permettait un accès à la prévoyance indépendant de l’état civil et reconnaissait le travail d’éducation des enfants, augmente progressivement l’âge de la retraite des femmes de 62 ans à 64 ans.
En 2020, le Parlement a adopté la réforme AVS 21 avec le but d’assurer l’équilibre financier de l’AVS, ainsi que de maintenir le niveau des prestations de l’AVS.
Deux principales mesures de la réforme concernent directement les femmes :
§Harmonisation de l’âge de référence entre femmes et hommes à 65 ans dans l’AVS et la prévoyance professionnelle obligatoire
o L’âge de référence des femmes est relevé par étapes de 64 à 65 ans
§Mesures de compensation pour les femmes
o Destinées à une génération transitoire de 9 ans
o Supplément de rente à vie, dont le montant varie selon l’année de naissance et le revenu, pour les femmes qui ne perçoivent pas leur
rente de manière anticipée
o Taux d’anticipations favorables, échelonnés selon le revenu, pour les femmes qui anticipent le versement de leur rente
o Possibilité d’anticiper la rente de trois ans au maximum (62 ans)
Ces mesures ne ciblent donc que la moitié de la population.
écart rentes et écart salarial
Écart rentes
En moyenne, les rentes des femmes sont de 37 % inférieures à celles des hommes, ce qui correspond à près de 20 000 francs par année.
Les écarts de rentes varient considérablement selon les piliers de la prévoyance. Dans l’AVS, l’écart est inférieur à 3 %. Par contre, dans la prévoyance professionnelle, il est supérieur à 60%.
Ceci est dû aux différences factures qui sont expliquée dans la suite de ce papier.
Écart salarial
Par rapport à celle d’un homme, la fiche de salaire d’une femme est inférieure en moyenne de 1512 francs, soit de 19.0 %, par mois. 54.6 % de cette différence s’expliquent par des facteurs objectifs tels que la position professionnelle, l’ancienneté ou le niveau de formation. Toutefois, 45.4 % de l’écart de salaire ne s’expliquent pas par des facteurs objectifs et recouvrent une potentielle discrimination salariale sur la base du sexe.
La différence non expliquée basée sur la moyenne s’élève donc à 8.1%, soit 686.- CHF par mois.
Figure 1 : salaires moyens et écarts de salaire
Source : OFS, ESS 2018
L’évolution des salaires moyens et les écarts salariaux de 2012 à 2018 démontrent que ces derniers restent stables à env. 19%. Par contre, la part inexpliquée s’accroit : en 2012 et 2014 elle s’est élevée à 40%, en 2016 à 42% et en 2018 à 45%.
Pour conclure, depuis 4 ans l’écart salarial moyen reste stable à 18% / 19% et la part non expliquée s’accroit de 40% à 45%.
Figure 2 : évolution des salaires moyens et des écarts salariaux de 2012 – 2018
L’âge et l’état civil
Les écarts salariaux (salaires moyens) entre femmes et hommes apparaissent dès l’entrée dans la vie professionnelle et atteignent -25.8% dès 50 ans.
On observe de grandes différences entre femmes et hommes en matière salariale d’une branche d’âge à l’autre. Comparé avec les employé-e-s de moins de 30 ans, l’écart salarial moyen dans les groupes plus âgés (≥ 50 ans) est près de cinq fois plus élevé.
En outre, l’écart salarial global inexpliqué augmente avec l’âge des employées de 3,3% à 30 ans à 10% à ≥ 50 ans.
Il y a également une forte variance entre les personnes célibataires et mariées. Tandis que les femmes célibataires gagnent en moyenne 6,4% de moins que les hommes célibataires, l’écart salarial moyen chez les personnes mariées atteint 25,8%. L’état civil le plus répandu pour les femmes en Suisse est « mariée » avec 47.7%.
L’écart salarial non expliqué s’élève à 3.5% pour les célibataires et chute à 9,6% pour les femmes mariées.
Tableau 1 : Emplois et écarts salariaux selon le groupe d’âge
Tableau 2 : Emplois et écarts salariaux selon l’état civil
Travail rémunéré et travail non rémunéré
La part des femmes dans les emplois à plein temps (charge de travail minimale de 90%) n’atteint que 29,4%. Près de trois quarts des emplois à temps partiel, en revanche, sont occupés par des femmes. Ces différences marquées s’expliquent notamment par le fait que les femmes consacrent davantage de temps à la garde des enfants et qu’elles travaillent ainsi plus souvent à temps partiel.
Des analyses montrent clairement que les femmes sont pénalisées sur le plan salarial dès qu’elles deviennent mères. En revanche, une paternité se traduit pour la majorité des hommes par une augmentation de salaire.
Les femmes continuent d’accomplir la plupart des travaux domestiques
De manière générale, les femmes ont consacré nettement plus de temps au travail domestique et familial (28,7 heures par semaine, contre 19,1 heures pour les hommes). À l’inverse, les hommes ont consacré en moyenne plus de temps au travail rémunéré (25,3 heures par semaine, contre 15,8 heures pour les femmes).
Forte charge de travail pour les couples dont le ménage compte un ou plusieurs enfants
Les mères continuent de consacrer presque deux fois plus de temps que les pères aux tâches domestiques (30,2 heures par semaine pour les mères contre 17,0 heures pour les pères en 2020). Elles investissent environ la moitié plus de temps que ceux-ci dans la garde des enfants (22,3 heures par semaine, contre 14,7 heures).
Les mères vivant dans un ménage de couple dont l’enfant le plus jeune à moins de 15 ans ont investi en moyenne 52,3 heures pour des tâches domestiques et familiales et 16,1 heures pour un travail rémunéré.
Les pères se trouvant dans la même situation familiale avaient une charge de travail de 35,4 heures de travail rémunéré et de 31,7 heures de tâches domestiques et familiales.
Évolution contrastée chez les mères et chez les pères depuis 2010
Néanmoins, dans les couples comptant dans le ménage des enfants dont le plus jeune a moins de 15 ans, le temps consacré aux différentes tâches a évolué de manière contrastée chez les mères et chez les pères entre 2010 et 2020: les pères ont investi nettement plus de temps dans le travail domestique et familial (+5,2 heures par semaine)
Tableau 3 : Emplois et écarts salariaux selon les taux d’occupation
Figure 3 : Modèles d’activité professionnelle des couples avec ou sans enfant(s) dans le ménage, en 2017
Étude et carrière
Les salaires augmentent avec le niveau de formation, mais l’écart salarial en pourcentage entre femmes et hommes a tendance à s’accroître. En effet, aux niveaux de formation les plus élevés, l’écart salarial se situe à 23.9%. Par contre, la part inexpliquée s’élève à 5.2% - 7.7%.
De plus, 29.4% des salariés exercent une activité de cadre. La part des femmes décroît de manière continue au fur et à mesure que s’élève le statut professionnel. La situation est inverse en matière d’écart salarial moyen. Cet écart passe de 10,0% entre femmes et hommes sans fonction de cadre, à 25,4% chez les cadres supérieurs. À ce niveau l’écart salarial non expliqué représente 13%.
Tableau 4 : Emplois et écarts salariaux selon le niveau de formation achevée
Tableau 5 : Emplois et écarts salariaux selon la position professionnelle
sources
OFS, Analyse des différences salariales entre femmes et hommes sur la base de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), rapport final, 2012 & 2016 & 2018
OFS, Enquête suisse sur la population active (ESPA), Travail non rémunéré en 2020, 2020
OFS, Les femmes ont accompli 50% de travail domestique et familial de plus que les hommes en 2020, mais ceux-ci gagnent du terrain, communiqué de presse 20.5.2021
BFEG, plateforme égalité salariale, Plateforme égalité salariale (admin.ch), 2021
SWI, Repousser l’âge de la retraite des femmes: de nombreux pays ont franchi le pas, Repousser l’âge de la retraite des femmes: de nombreux pays ont franchi le pas - SWI swissinfo.ch, 2021
Avenir Suisse, Âge de la retraite des femmes, Age de la retraite des femmes : l’exception suisse - Avenir Suisse (avenir-suisse.ch), 2021
Photo credit: OFAS 2022
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